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La généalogie à l'école



par Paul Povoas
& Valérie Franco-Courtilllet
N°21 - octobre/Novembre 2007

La Généalogie à l'école par Paul Povoas et Valérie Franco-Courtillet Passionnés de généalogie, nous avons tous pu constater que cette discipline abordait de nombreux domaines comme la famille, la vie, la mort, l'éducation civique, la chronologie, l'histoire des familles, l'Histoire, la géographie, la paléographie et bien d'autres encore, ouvrant la porte à une plus grande ouverture d'esprit et à plus de tolérance entre les hommes. Peu de disciplines sont aussi éclectiques et cette particularité fait de la généalogie une piste éducative très intéressante que Valérie FRANCO-COURTILLET, de Tours, a souhaité nous proposer dans son action pédagogique. Ce sujet a donc été l'objet d'une rencontre bien intéressante faite lors du Congrès de la Fédération française de Généalogie à Tours, en mai dernier, où Valérie exposait le fruit du travail de ses jeunes élèves et de leurs parents qui se sont prêtés au jeu, et sans qui l'expérience n'aurait pas été connue un tel succès.



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La Généalogie dès la maternelle ?

Nous nous sommes intéressés à l'expérience menée par Valérie Franco-Courtillet, dans une Grande Section Maternelle. Nous informons également qu'elle est membre active au sein du Centre Généalogique de Touraine, organisateur du congrès de la Fédération Française de Généalogie, en mai dernier.. Le but de Valérie était bien évidemment de s'inscrire dans le programme éducatif visant à l'épanouissement de l'enfant avec une évolution du langage, l'éveil de l'intérêt pour les différents thèmes abordés, la notion du temps, la découverte du monde. La problématique de l'institutrice était la suivante " Comment par la découverte de l'arbre généalogique et à travers la mémoire familiale, favoriser la prise de conscience de l'écoulement du temps en Grande section de maternelle ? ". Cette problématique s'inscrivait dans le grand domaine " découverte du monde " et englobait des activités pluridisciplinaires comme les sciences (comment fonctionne le corps, grandir), les mathématiques (mesurer, comparer…) la lecture et l'écriture (vocabulaire spécifique), les arts plastiques (diverses représentations de l'arbre), le chant (chants d'hier) etc, ainsi que deux autres grands domaines d'activité qui sont " le vivre ensemble " et " le langage ". Elle va être aussi le prétexte d'un échange intra-cycle II mettant en relation et collaboration la classe maternelle et une classe primaire (CE2). L'école maternelle offre à l'enfant de multiples occasions de stimulation, découverte et permet la construction d'un premier capital de connaissances en structurant la pensée scientifique. Par l'observation et la recherche documentaire, l'institutrice a tenté de mettre en place un aller-retour entre réalité / passé et réflexion intellectuelle afin que l'élève établisse des liens méthodologiques entre son expérience personnelle et les connaissances scolaires. Ce projet s'est avéré fructueux dans de nombreux domaines d'apprentissage, stimulant dans la relation aux familles et très positif dans l'acquisition de la notion du temps, et dans l'intégration du schéma de l'arbre.



La démarche de l'institutrice


Une des gageures de cette entreprise était de rallier les parents au projet, parents sans lesquels l'arbre ne pouvait pas se construire, il fallait s'appuyer d'abord sur la mémoire familiale, comme lors de l'initiation de toute démarche généalogique même si elle est faite par des adultes. L'institutrice a donc donné 2 fiches de renseignements généalogiques à remplir concernant le père et la mère sur 3 générations et que tous ont fait sérieusement. Elle a demandé des photos sur 3 générations que 18 familles lui ont données. Elle a proposé assez vite aux parents motivés et artistes qui le désiraient, de créer leur arbre généalogique avec les informations et documents dont ils disposaient, avec leur enfant. 10 ont accepté. Elle a ainsi reçu et affichés dans la classe 5 arbres. A d'autres familles, elle a fourni un arbre tout prêt décoré à remplir avec leur enfant, le dernier groupe a remis les photos et c'est l'institutrice qui a réalisé l'arbre avec les élèves restants en le personnalisant. Le sujet de l'arbre c'est l'enfant, c'est le point de départ. Les 2 personnes dont il est issu : son père et sa mère. Plus tard, on prolonge les embranchements en plaçant les grands-parents, côté paternel et maternel. Au delà de l'arbre généalogique, de la notion de racine, l'enfant a expérimenté un vocabulaire particulier, a mieux positionné sa place dans la fratrie puisqu'il place lui-même les étiquettes-noms qu'il a réalisées sur les branches de l'arbre. Il est évident que certains problèmes peuvent se poser, concernant les familles recomposées, les enfants adoptés, les enfants orphelins mais on trouve toujours des solutions (ajout de branches, utilisation de la famille adoptive) et il est très intéressant d'évoquer ces situations diverses. Bien évidemment, l'arbre a été utilisé en Arts Plastiques, des chants anciens ont été enseignés parallèlement, les élèves ont apporté de vieux objets tel un fer à repasser de 1850 et tous ces éléments ont créé une ambiance très stimulante pour les enfants.



Valérie poursuit en concluant :
" Les élèves ont acquis une maturité par rapport au concept temps ; ils ont acquis un savoir-faire et un savoir-apprendre, ils ont intégré une méthode de recherche alors qu'ils étaient peu structurés par rapport au temps d'avant. Des évaluations écrites ont eu lieu avec des images séquentielles à classer, des relations entre les objets techniques d'hier et d'aujourd'hui pour valider leurs connaissances. Je souhaite mettre en place un brevet du généalogiste en herbe pour valider leurs apprentissages mais je ne sais pas encore quels seront les critères d'attribution. Cette expérience a enrichi ma pratique pédagogique. J'ai entrepris une démarche expérimentale sur un thème encore méconnu, peu abordé à l'école maternelle, mais mes efforts ont porté leurs fruits et ma classe semble passionnée par tout ce travail sur la généalogie. Pour tous les enfants, dessiner son arbre, comprendre le fonctionnement des générations grâce à la transmission familiale, pouvoir se situer d'une manière stable et définitive, leur a donné une signification et une importance. Cela les a aidés à grandir, à se rapprocher des grands-parents, à mieux se situer dans la fratrie. En ce qui concerne les 3 grands domaines d'activité choisis, sur le plan du langage, l'enfant a posé des questions, participé à des échanges verbaux, sur le plan du vivre ensemble, familles et enfants ont collaboré pour la réalisation de l'arbre, et sur le plan de la découverte du monde, en se situant dans un environnement familier, l'enfant a expérimenté les outils qui permettent de décrire, de mettre en ordre, mesurer (arbre généalogique) et de comprendre cet environnement. Ce projet est loin d'être terminé et d'autres pistes de travail sont en cours. Comme l'échange GS/CE1, les ancêtres étrangers, l'exposition de juin, etc. ".



Au delà de la Maternelle ?

Cette expérience est très positive et elle peut s'enrichir encore au gré des classes et des matières évoquées : l'origine géographique des élèves peut être intéressante à étudier en classes primaires, elle peut permettre une meilleure intégration des élèves étranger et encourager la tolérance des élèves. De même concernant les grand moments de la vie, la généalogie peut permettre d'aborder ce sujet et d'évoquer au collège par exemple, les différentes religions car, si la religion catholique est largement présente en France, d'autres y sont également représentées et il convient de donner aux élèves les clés de la recherche dans ces domaines variés. L'aspect ayant trait à l'éducation civique est également très intéressant : le livret de famille, les actes, les archives, le respect des livres et des documents anciens. On peut également, sur un plan plus mathématique, étudier comment rechercher des dates, les calculer. Il est passionnant de se pencher sur les inventions et de les positionner par rapport à des ancêtres. De même, l'étude de l'Histoire d'un pays prend une toute autre couleur lorsqu'elle se situe, pour un enfant ou un adolescent, par rapport à ses ancêtres ou à un livret militaire d'un grand-père ou arrière-grand père. Les archives des journaux constituent une piste intéressante pour les jeunes car elle présente un témoignage historique (ce qui s'est passé ce jour là) mais également un témoignage de société par les faits divers et les publicités présentées. On peut bien évidemment évoquer en classe les événements climatiques, disettes et autres épidémies de façon plus concrète pour les élèves et éveiller ainsi leur curiosité, leur intérêt. Il ne s'agit plus simplement de matières étudiées mais de la vie quotidienne de leurs ancêtres, de nos ancêtres et également de l'évolution de la société. Vers la généalogie en tant que passion ? Nous avons tous, généalogistes confirmés ou débutants expérimenté les atouts de la généalogie, formidable vecteur de communication inter-générationnel : en débutant, on mesure très vite les trésors que constituent les photos, livrets de familles, livrets militaires etc… et qui dorment dans des greniers ou oubliés dans des tiroirs. Les témoignages oraux sont très souvent matière à intérêt et démontre qu'il faut prendre la peine de parler aux plus anciens membres de la famille. Initier les enfants à tout cela, c'est préserver ce patrimoine trop souvent détruit ou ignoré par des inconscients. Ces formations à la généalogie permettent le dialogue et ouvrent la porte à de nombreuses découvertes et à des émotions insoupçonnées. Elles permettent ouverture d'esprit et tolérance en plus d'initier à une méthode scientifique.

" Votre Généalogie " s'entretient avec Valérie

Qu'est ce qui a été déclencheur dans cette expérience ?

En fait, au départ, l'idée partait d'un thème fédérateur à toutes les classes de l'école où j'enseigne. Et là, il s'agissait de l'arbre dans sa généralité, en abordant l'aspect écologique ou scientifique ; j'ai donc pensé à l'arbre généalogique. Une seule expérience avait été menée dans une autre région à Chaumont sur Loire en Maternelle grande section. De plus, j'ai contacté la Fédération Française de Généalogie et la " Commission généalogie à l'école " dont je suis même devenue membre. En septembre 2005, j'ai été encouragée par mon inspecteur à passer le concours et à présenter un dossier à l'oral ; j'ai choisi l'arbre généalogique, sujet qui n'a pas été très bien accepté par ma hiérarchie au départ mais j'ai su les convaincre. De plus, je suis passionnée de généalogie depuis 2001 à titre personnel. Je me souviens bien de la mise en garde de ma directrice : " Fais attention où tu mets les pieds dans tes relations avec les parents notamment. "

VG : Evoquer la généalogie à l'école pour toi a-t-il ouvert quelques discussions en amont ? L'école de la République vise à prendre en charge l'éducation de l'enfant quelque soit son milieu social d'origine et sa famille, on fait abstraction de son contexte familial en classe (nous en tenons compte néanmoins mais avec discrétion) donc je comprends qu'il ait pu y avoir des réticences. J'ai eu des cas de familles recomposées notamment et le fait de faire cette démarche a permis à l'enfant de se repositionner dans la fratrie, sa famille et de se sentir mieux.



VG : As-tu des cas particuliers à évoquer ? Quand des difficultés se présentaient, je cherchais à discuter avec la famille. Parfois, il leur était par exemple de parler de leurs parents, et bien que ce soit délicat à gérer, globalement cela a marché. Parfois il fallait crever l'abcès avec les parents même si certains cas étaient trop douloureux à évoquer. L'enfant se stabilise et se positionne dans l'arbre généalogique. Dans les familles recomposées notamment, on peut compter de nombreux grands parents, il le découvre et il en est heureux. Pour l'enfant, le repérage temporel, sur une journée est un élément important dans les grandes sections maternelles et lui donner un repérage temporel plus large, avec l'arbre généalogique est très enrichissant quoique qu'un peu abstrait au départ.

VG : Leur as-tu parlé de l'échelle du temps ? Non à cet âge là, vers 5 ou 6 ans, ils ne comprennent pas mais, comme cela part d'eux et que c'est leur histoire et leur famille, ils parviennent à se positionner et à prendre en compte les premières générations, à parler avec leurs grands parents. Ils ont pu contempler des vieilles photos ou des objets d'autrefois. Leurs grands parents sont nés dans les années 40-50. Certains même ont connu la Seconde guerre mondiale et ont vécu les moments difficiles liés à la guerre. Par exemple, on a pu leur évoquer qu'ils n'avaient pas l'eau courante ou d'électricité par exemple.

VG : Que peux-tu dire de la famille qui s'est le plus impliquée dans cette expérience ? Tous ont très bien joué le jeu. Le plus émouvant ? Il y avait plusieurs cas de parents divorcés dans la classe… La maman d'une petite fille qui a su que je parlais des morts au moment de la Toussaint est venue faire un scandale en pleine classe, prétendant qu'on n'avait pas le droit de parler de ce sujet à des enfants de cet âge. Calmée, je l'ai reçue en soirée, elle m'a parlé de la perte de ses deux parents et de sa souffrance. Finalement, elle s'est impliquée fortement à lors de l'exposition du congrès et pour elle, notre rapprochement a été en quelque sorte une thérapie. Bien que divorcé, le père de la petite fille s'est investi à encadrer des photos qu'elle avait cherché sur Internet. C'était très beau, ce rapprochement !



VG : Que comprennent les enfants quand tu évoques les ancêtres ?
Au départ, on évoque les parents, puis les parents quand ils étaient petits : il faut y aller doucement sinon cela reste abstrait. Après au niveau des grands parents, nous avons mis en place tout un lexique dans la classe avec parents, grands parents et arrières grands parents paternels et maternels, sachant que les parents des parents sont les grands parents…

VG : As-tu évoqué la notion de paroisse, de village, de clocher ? On a parlé de l'église, de la notion de terroir, des traditions. C'est rigolo car au tout début on disait que certains aïeux avaient vécu au temps des rois, une petite fille m'a fait remarquer que son arrière arrière arrière… grand-père devait être un homme préhistorique ce qui prouve que les enfants avaient bien compris la notion de l'évolution… ou certains disaient que leur ancêtre était chevalier.



VG : C'est vrai que l'on suscite la curiosité et que les gens ont envie d'aller plus loin. Quel est le ressenti ou les leçons que l'on peut tirer de cette expérience ? Je suis enseignante avant tout et je dois leur transmettre un savoir, des valeurs et je le savais dès le départ. Je suis partie de l'école d'autrefois et non pas de l'arbre généalogique parce que c'était plus concret pour eux. En terme de leçon, c'était quand même la prudence : il faut tenir compte de la sensibilité de la famille. L'adjoint de l'Inspecteur d'académie que j'ai rencontré pour lui parler du Congrès a déclaré que le projet était intéressant bien qu'il fallait tout de même agir avec prudence. Effectivement, je me mets un peu à la place de certaines familles qui détiennent des secrets douloureux. C'est vrai qu'il faut se montrer prudent et traiter au cas par cas ; cela peut avoir un effet thérapeutique sur la construction de l'identité de l'enfant.



VG : Les enfants ont-ils de leur côté interrogé les " anciens " ?
En effet, les enfants ont été amenés à poser des questions aux grands parents alors qu'ils ne l'auraient peut-être jamais fait sur ces sujets !

VG : Y-a-t-il eu un travail fourni par les familles ?
Tout le monde a répondu au questionnaire que j'avais adressé. Ils ont fourni des dates de naissance, de mariage… En somme, ils ont fait un travail sensationnel.

VG : Est-ce que les enfants t'ont interrogée sur ta propre expérience généalogique ? Oui, j'ai commencé par leur expliquer mon arbre, j'ai montré qu'il y avait des cases vides et dit que c'est normal et que parfois on ne sait pas… Ensuite j'ai proposé qu'on fasse le leur.

VG : Est-ce que la notion de rang social ou de métier a été évoquée ? Le rang social, non ! Mais les métiers oui ! Car à cet âge, ils ne comprennent pas le rang social mais on a évoqué des métiers comme des porteurs d'eau, des menuisiers etc.. il y avait aussi des métiers assez originaux. Je me souviens avoir du cas de cet arrière grand père qui avait fait la Guerre d'Indochine, et qu'à son retour, il n'était pas seul puisqu'il a amené une fille du Laos ; avec la photo, nous avions remarqué ses yeux bridés.

VG : Envisages-tu de renouveler l'expérience ? Pour l'instant, non ! Car le thème de l'école de cette année avec l'arbre se prêtait très bien à la démarche, j'ai plutôt envie de participer à d'autres projets de ce type grâce à l'expérience que j'ai acquise. Je cherche également à faire éditer mes travaux.




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